Psychanalyse et psychothérapies sur Internet, fantasme ou réalité ? (JP BEGUE)

Internet bouleverse notre vie quotidienne par la masse de connaissances à laquelle nous pouvons avoir accès en quelques clics de souris et la rapidité phénoménale de la transmission des informations quelle que soit leur forme : données écrites, tableaux, images, vidéos, musique, photos. Tous les secteurs d?activité sont concernés par ce qu?il faut bien appeler une véritable révolution ; tout peut se faire à distance par écran interposé via une ligne téléphonique et un modem y compris dans le domaine de la santé (télé médecine, télé chirurgie ) et dans le domaine du soin psychologique. Internet a déjà changé la façon de chercher de l?aide et d?être pris en charge sur le plan thérapeutique. Une personne en difficulté peut rechercher un professionnel : psychologue, psychanalyste, psychothérapeute dans des services de référencement ou des annuaires donnant une description approfondie du praticien : lieu d?exercice, qualification, champ de compétences, publications et même photo. Il devient donc possible de faire une thérapie de chez soi, de son bureau ou du pays dans lequel on séjourne avec le thérapeute que l?on a choisi avec parfois même la possibilité de choisir la langue. Actuellement quelques " cyberpsy " confortablement installés devant leur ordinateur en ville ou à la campagne offrent déjà des traitements en utilisant des caméras numériques (webcams) pour des séances en direct par vidéo avec leur patient qu?ils peuvent voir et entendre grâce à la transmission de la voix et de l?image par haut débit (ADSL). Quant au paiement, il est de plus en plus sécurisé et s?effectue en ligne par le biais d?une carte bancaire. Dans ce contexte une psychanalyse par ordinateur sur Internet relève-t-elle d?un projet un peu fou ou bien est-elle d?ores et déjà rendue possible par l?évolution de la technique et par l?ouverture d?esprit de quelques praticiens novateurs désireux de vivre avec leur temps ? La question fondamentale qui se pose est la suivante : peut-on se passer de la présence physique réelle de l?analyste et du divan sans lequel il ne saurait y avoir de véritable analyse selon les gardiens de l?orthodoxie freudienne ? Une psychanalyse par le net est possible à la condition préalable de la croire possible et de se mettre en situation de recherche tout comme l?ont fait en leur temps des analystes célèbres : Freud avec le petit Hans pour lequel c?est le père qui a appliqué le traitement et Lacan dans l?adaptation de la durée de la séance pour ne citer que ces 2 exemples. D?autre part, il convient d?avoir et de respecter les mêmes principes théoriques que l?analyse sur le divan : la démarche est clairement identifiée, il y a un cadre, une règle et la dimension de l?inconscient. Le cadre, c?est le rendez-vous sur Internet à jour et heure précis, la fréquence hebdomadaire et la durée de la séance. La règle fondamentale est la même que dans la cure classique : le patient est invité à dire tout ce qui lui vient à l?esprit spontanément même s?il s?agit de choses immorales ou grotesques, il est aussi invité à raconter ses rêves qui constituent la voie royale pour saisir et comprendre certaines manifestations de l?inconscient. L?inconscient est donc bien au premier plan puisqu?il s?agit de retrouver le désir refoulé à l?origine du symptôme ou du conflit intra psychique dont il est la cause. Le transfert sur l?analyste, c?est à dire la répétition et la mise à jour de comportements et d?émotions infantiles liés aux parents, se met en place comme dans la situation classique du divan ainsi que l?apparition des résistances, pour ne pas voir ou admettre certains faits ou sentiments gênants pour la conscience et l?image de soi. Comme dans la cure classique, après avoir revécu et analysé, entre autres, le transfert et les résistances, il est possible au patient de réinvestir le réel en faisant des projets pour l?avenir, signe incontestable de son désinvestissement progressif de la situation psychanalytique et la fin proche de celle-ci. Il est également possible de faire une psychothérapie dans les mêmes conditions techniques qu?une analyse sur Internet. D?autres formes de psychothérapie comme la email therapy et la psychothérapie par écrit en interactif font également partie du paysage des soins à distance. La psychothérapie par courrier consiste à écrire son texte sur ordinateur puis à l?envoyer à son thérapeute le jour convenu, le thérapeute envoyant sa réponse écrite par mail dans les 24 heures qui suivent. La psychothérapie par écrit en interactif est un dialogue sur ordinateur en temps réel au cours d?un rendez-vous hebdomadaire fixe. Patient et thérapeute se retrouvent devant leur écran et sur Internet en même temps pour une séance par écrit. Chaque série de phrases tapées par le biais du clavier est transmise instantanément au thérapeute qui répond selon les mêmes modalités. Ces psychothérapies s?adressent à tous ceux ou celles qui ont un rapport familier avec l?ordinateur, toutefois il semblerait qu?elles attirent préférentiellement des personnes qui n?auraient jamais songé à contacter un praticien en ville ou des personnes qui ont connu des échecs répétés dans leur tentative pour être aidées ou bien encore des personnes qui se sentent plus à l?aise avec leurs mots écrits qu?avec leurs mots parlés. Pour certains patients être mis en situation de parler en face à face avec un thérapeute provoque une inhibition de l?expression et une souffrance alors que les mots écrits sont plaisir et facilité pour s?exprimer et entrer en relation avec l?autre sans doute parce qu?ils maintiennent l?espace sécurisant nécessaire dont ils ont besoin. Une patiente écrivait " je pense que vous écrire a permis de débloquer en moi la partie qui m?empêchait de parler aux thérapeutes que j?ai rencontré antérieurement, je ne savais jamais quoi leur dire par peur de dire des choses stupides ou de me plaindre pour des riens alors que j?étais dans une grande détresse ". L?absence de contact réel, de présence physique du thérapeute facilite paradoxalement la thérapie ; il devient dès lors plus aisé pour le patient d?exprimer ses sentiments du fait qu?il ne craint pas le regard de l?autre ou son jugement. Il peut révéler plus tôt que dans une prise en charge classique des traumatismes chargés de honte et de culpabilité qu?il n?aurait pas pu avouer en utilisant la parole. C?est le cas de cette patiente qui, après un échange de 2 courriers, écrivait " enfant, j?ai été abusée par un membre de ma famille pendant plusieurs années, cela me pose des tas de questions, par écrit je peux vous le dire mais par oral je ne le pourrais pas tellement j?ai honte ; c?est pourquoi par écrit tout est si simple ". Le travail psychologique s?effectue donc plus rapidement et par suite plus efficacement pour ce type de patients. D?autre part, de chez lui, dans son univers familier, le patient est plus à l?aise, il peut davantage réfléchir et écrire, dans la thérapie par courrier, aux moments où il le souhaite de jour comme de nuit, l?envoi ne se faisant qu?au jour fixé avec son thérapeute. Quant au transfert de sentiments et d?émotions sur la personne du thérapeute, il est tout autant présent dans l?écriture que dans une thérapie plus classique ; en effet, l?écriture est un support très puissant de l?imaginaire. Le décalage entre l?envoi et la réception de la réponse, l?absence d?image du thérapeute contribuent à favoriser la flambée de l?imaginaire, le patient peut tout imaginer dans ce contexte et ce qu?il imagine il ne peut le construire qu?à partir de son vécu infantile. Il va mettre à l?extérieur ce qui était en lui et acquérir ainsi un savoir sur lui-même propre à le faire évoluer vers la résolution de ses conflits et un mieux être. Le thérapeute, de son côté, peut travailler sur le contenu du courrier, (équivalent d?une séance), mais aussi sur la forme : couleur, taille et forme des caractères, lapsus, répétitions, choix d?un vocabulaire particulier ; éléments tout aussi révélateurs qu?une gestuelle ou une voix qui contribuent à l?image que se fera le thérapeute du patient. Le patient bénéficie dans cette forme de thérapie d?une réponse écrite de son thérapeute, il peut dès lors réfléchir sur cette réponse, le thérapeute ne peut se dérober, il faut qu?il dise ce qu?il a compris, ce qu?il en tire, quelles hypothèses il peut faire, dans quelle direction il faut orienter le travail. Ces formes de thérapie permettent de maintenir également un contact avec le thérapeute même en dehors des séances, ce qui est très important pour les patients ; ils peuvent envoyer un rêve qu?ils viennent de faire la nuit précédente, un poème, solliciter une explication ou exprimer une inquiétude qui ne peut attendre la séance suivante. Le thérapeute répond en toute simplicité le jour même par courrier électronique, ce qui aide beaucoup à instaurer une relation de très grande confiance. Un autre avantage, la confidentialité, elle peut être plus grande que chez un praticien en ville ou dans un centre de soins ; pas de dossier, pas de prise de notes, pas de feuille de sécurité sociale comme chez le psychiatre, pas de déplacement à un horaire fixe, pas de risque de rencontrer une personne connue dans la salle d?attente ou d?être le sujet de conversations informelles au sein de l?équipe soignante. Tous les mails une fois lus et répondus sont détruits, c?est la règle à laquelle patient et thérapeute s?engagent moralement avant le début de la prise en charge pour éviter toute utilisation abusive par l?une ou l?autre partie ou une indiscrétion de la part d?un tiers lorsque l?ordinateur est partagé entre plusieurs personnes. Dans l?échange interactif, il n?y a pas de traces du dialogue car les écrits s?évanouissent lorsque le patient et le thérapeute quittent l?aire de rencontre. Il est même possible pour des patients particulièrement inquiets par rapport à la confidentialité de leur donner la possibilité de garder l?anonymat lorsqu?ils le demandent, il suffit qu?ils règlent le montant des séances en liquide. Le thérapeute ne peut donc connaître ni leur nom, ni leur adresse et ils n?apparaissent que sous le pseudo qu?ils ont choisi pour leur adresse électronique. Le thérapeute n?échange alors pas avec M ou Mme Dupont mais avec supergloupgloup ou petite fleur ? Il existe toutefois des limites à la confidentialité, elle peut être levée par requête de la justice ou lorsque la vie du patient est en danger ou bien encore lorsqu?il s?agit d?actes de nature pédophile ou d?abus sexuel. Ces nouvelles formes de thérapie apparues à la fin des années 90 avec Internet sont objet de critiques voire de rejet de la part de nombreux professionnels mais de tout temps la nouveauté a induit de telles attitudes. La psychanalyse, la psychothérapie par Internet et les thérapies par écrit ne prétendent pas résoudre tous les problèmes, elles ne visent pas non plus à se substituer aux thérapies qui se pratiquent en cabinet, elles n?ont que le mérite d?exister, d?être là pour certaines personnes qui trouvent dans leur utilisation l?aide qui leur convient. N?est-ce pas l?essentiel ? jean pierre bègue psychanalyste www.monpsychanalyste.com



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