Sophie Mendelsohn Juin 2002
Machines et subjectivation :
Devenir d’un adolescent psychotique
Mémoire de DESS
Sous la direction de Michel Tort
Université Paris VII
Charles, une énigme dans l’institution
Des bruits courent dans l’institution, hôpital de jour parisien pour adolescents, depuis que Charles, il y a quelques mois, y a fait ses premiers pas : chétif, craintif, hésitant, fuyant les regards des autres adolescents, et leurs tentatives d’approches, il n’en a pas moins laissé son empreinte, sous forme de questions curieuses ou inquiètes, partout où il est passé. Qui est cet adolescent qui a l’air d’un enfant ? Pourquoi est-il habillé comme une fille – lunettes-papillon, sac à fleurs, blouson en satin, et chaussures agrémentées de petits talons ? Et cette femme qui l’accompagne partout, l’attend toute la journée dans le hall entourée de dizaines de sacs en plastiques remplis d’on ne sait quoi, et qui parle à tout le monde, c’est sa mère ?
Charles est tout de suite repéré par les autres adolescents, dans un lieu qui est pourtant traversé des folies de chacun, comme " différent " : en quelque sorte plus fou, plus bizarre, plus inatteignable, et surtout plus dérangeant. Renvoyés à l’insupportable de questions trop brûlantes à l’adolescence, à propos de l’identité et de la sexuation, les adolescents du groupe auquel Charles a été intégré, choisissent d’emblée une politique passive d’exclusion : l’ignorance.
Les investissements de Charles dans l’institution se concentrent donc dès le départ sur deux espaces qui lui permettent à la fois de contourner cette exclusion, de la dénoncer et de la détourner à son profit : il revendique sa " différence " à chaque consultation comme la marque même de cette individualité précieuse qui est la sienne et à laquelle jamais il ne renoncera au profit du groupe, et il la met en pratique dans un atelier d’architecture qui comprend seulement deux adolescents, lui inclus, en devenant le moteur de la dynamique de l’atelier. A l’invasion de sa parole logorrhéique sur la scène de la consultation, répond en écho la frénésie qu’il met à construire et déconstruire ses maquettes à l’atelier. Là où il est, il n’y a de place pour rien d’autre. Cela n’est pas sans poser de question sur la façon dont une institution peut " absorber ", comme elle semble en avoir le désir, une visée individualisante dans un fonctionnement qui se veut groupal – il s’agit là, à un niveau macrologique, d’une des nombreuses prises de distance que Charles prend avec les ordonnancements symboliques sur lesquels il exerce, cette fois par des stratégies micrologiques, sa capacité à ne pas se laisser duper par du semblant en renvoyant chacun aux limites qu’impose le choix d’une position subjective et sociale définie.
D’une énonciation close sur elle-même, se soutenant d’un désir forcené de rationalisation, à l’organisation du monde en une cartographie propre à permettre un quadrillage machinique : tel est l’espace où Charles se tient en vacillant, tentant dans une lutte sans répit, avec lui-même et avec sa mère, de faire émerger de possibles subjectivations – et d’abord celle, bien sûr, d’ " adolescent ", signifiant qui a bien peu de sens pour lui, mais auquel il croit devoir s’identifier, puisque ce sont des adolescents qui sont pris en charge dans cet hôpital de jour. Mais ce n’est pas sans ironie qu’il accepte le simulacre qui lui est proposé par l’institution – sans doute pourrait-il faire sienne la remarque de Louis Wolfson : " non pas rarement les choses dans la vie vont ainsi : un peu du moins ironiquement. " - ; c’est précisément cette ironie qui nous semble être porteuse d’une subversion du sujet (ici au sens étymologique de " retournement ", l’ironie retournant en quelque sorte le sujet contre lui-même), et qu’il faudrait travailler pour que, de place vide que désigne encore pour lui l’obscur signifiant " adolescent ", Charles puisse en vivre les enjeux pulsionnels, les drames subjectifs et les explosions libidinales autrement que dans le semblant. C’est précisément dans ce sens que nous avons tenté d’orienter le travail avec Charles : réduire l’écart entre une place assignée par " l’ordre symbolique " qui n’est pas signifiante pour ce sujet – et qui ne peut donc s’y identifier que par le simulacre, lui-même immédiatement dénoncé par une ironie mordante – et le devenir-sujet, le processus de subjectivation d’un adolescent qui lutte avec sa mère (avec les poings, quand il ne trouve pas d’autre issue) pour son autonomie. Précisons d’emblée, toutefois, que cette ironie n’est certainement pas l’effet d’une volonté : elle vient à l’insu même du sujet dénoncer ce qu’il en est du semblant que propose le symbolique lorsqu’il n’est pas articulé à l’imaginaire, comme c’est le cas dans la psychose : un pur et simple miroitement mortifère, un simulacre.
Table des matières
Charles, une énigme dans l’institution 2
Première partie : La consultation, lieu de l’ " extérioration " 4
L’errance identificatoire 4
Les conditions de l’ " extérioration " 5
Intrusions, mode d’emploi 7
Enfermé dehors 8
Le coup de force du Cogito 11
Dire et désir 16
La parole comme procédé 18
Deuxième partie : Cartographie d’un/en devenir 22
Métro, points et lignes 22
Pratiques cartographiques 23
Modèles, anti-modèles et systèmes ouverts 26
Rhizome/sinthome 28
La carte, espace de la jouissance 30
Du symptôme au sinthome 35
Troisième partie : Machines de subjectivation 40
Comment marchent les machines ? 40
La machinerie du Symbolique 42
Machine et structure 46
Autopoïèse machinique 49
Des branchements pour des voix 52
L’espace d’un temps 53
" Merde ! ", un pas vers l’adolescence… 56
Bibliographie 58
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